La briqueterie


Les petites industries de Saint Piat

Les innovations de l’époque industrielle touchèrent peu la commune. Les petites industries qui s’y établirent au XIXème siècle ont fait plus preuve d’un esprit d’entreprise individuelle que de critères relevant de la Révolution Industrielle. Le développement de la briqueterie Lambert sera donc une exception dans cette histoire locale.
Sous le Premier Empire, alors que le moulin de Saint Piat a l’une des plus grosses productions de farine de l’arrondissement, son propriétaire, le sieur Besnard, cherche à investir ses gains dans la construction d’un four à plâtre. Un arrêté préfectoral lui en donnera l’autorisation en mai 1809.
Sous le Second Empire la multiplication des incendies de villages et de hameaux en Eure-et-Loir poussèrent les autorités à prendre certaines mesures de sécurité. Par exemple, le maire de Briconville prohiba, à la demande du préfet, les couvertures en matière combustible.

 Les premiers fours, ancêtres de la briqueterie:

L’origine de la briqueterie Lambert remonte à l’établissement d’un four à « thuille », dans une ferme au lieu-dit « Le Marais ». Le propriétaire a obtenu l’autorisation de construction en octobre 1828.

Situation du four à tuile construit en 1859 par J. B. Lambert  au lieu dit Le Marais.(Archives départementales d’Eure & Loir. 5 M 164. .
Ce four existe toujours en son entier exceptée la cheminée.

Plus tard, Jean Baptiste Lambert exprima le désir de se lancer dans sa propre entreprise et déposa le 10 décembre 1858 une demande de construction d’un four à tuiles sur un emplacement qui réunissait les avantages d’être éloigné des habitations (Saint-Piat est à 320 m et Dionval à 240m) et d’être à proximité du chemin de fer (110 m) ainsi que d’être sur une zone d’extraction de « terre franche ». Le conseil municipal donna un avis favorable au projet le 2 janvier 1859.

La petite maison au toit pointu, située rue du marais, a été construite sur le premier four, ancêtre de la briqueterie de Saint-Piat

Les différentes évolutions de l’usine

Le four actuel, construit sur l’emplacement de l’ancien four, fut sans doute élevé par le fils de Jean Baptiste Lambert, Jules, ou son petit-fils, Georges entre 1880 et 1910. Ce four à doubles galeries parallèles, toujours visible, est de type Hoffmann qui fut le premier à fonctionner en feu continu. Pendant que le feu cuisait les briques dans une cellule de cuisson, des ouvriers défournaient des briques cuites et refroidies à l’opposé puis enfournaient à nouveau des briques crues. Il suffisait de déplacer l’alimentation du foyer pour que la cuisson progresse vers la chambre suivante. Les chambres étant disposées en galerie circulaire, la cuisson pouvait ainsi ne jamais s’arrêter.
Le four de la briqueterie de Saint-Piat se compose de deux galeries orientées nord-sud de 37 m de long et 8,50 m de large (dimensions extérieures) et reliées entre elles par une petite galerie coudée. Chaque galerie est percée de 9 portes permettant le défournement et l’enfournement des chambres.

© V. Duseign                          Une des deux galeries du four Hoffmann

© V. Duseigne                            Les portes d’accès aux cellules de cuisson

En 1937 l’usine comptait 22 ouvriers. Pendant la seconde guerre, l’usine fut occupée pour servir d’entrepôt. Après le conflit elle se modernisa par l’installation d’un moteur diesel et l’achat de camions…. Elle fabriqua également jusqu’en 1950 des tuiles plates de pays ou des tuiles mécaniques de type Gilardoni (Marne). Elle a cessé d’estampiller ses briques quand la production a été vendue à des négociants.

                   La briqueterie et la maison de maitre à droite. ( carte postale © M. Foucault)

La dernière cuisson de briques a eu lieu en janvier 1997, après le décès subit de James Lambert. L’usine n’était plus rentable depuis plusieurs années, mais des diversifications avaient été tentées comme la fabrique de parpaings et le négoce de matériaux de construction.
Quatre générations de la famille Lambert se sont succédées à la direction de la briqueterie.

Étapes de fabrication des briques

L’exploitation de carrières
Les trois matières premières pour la fabrication des briques ou des tuiles provenaient de carrières d’argile (lieux-dits : les Plantes, Froid Vent), de terre franche (loehm) et de sablon (lieu-dit Les Gaudières). Des wagonnets servaient à transporter la « terre franche » depuis la carrière la plus proche. Le travail d’extraction se faisait en hiver, de la Toussaint au mois de mars.

La zone de fabrication
La zone de fabrication se trouvait dans la partie nord-est de la briqueterie sous un hangar et un édifice dit de « mise en poussière ». La terre qui sortait de la trémie passait dans les broyeurs puis un malaxeur suivi d’une extrudeuse-mouleuse qui donnait la forme voulue aux tuiles ou aux briques, pleines ou creuses. Une machine à vapeur, puis, après-guerre, un moteur diesel actionnaient les machines.


© V. Duseigne Le moteur diesel avec le volant de régulation

Le séchage
Les briques crues ainsi façonnées étaient placées avant la cuisson dans les séchoirs. La ventilation s’effectuait au moyen de volets de bois à lames orientables encore visibles sur le pignon nord. Des chaudières installées dans les pièces de séchage assuraient la mise hors gel des briques crues.


© V. Duseign Etagères à claies de bois

La cuisson
Les premières cuissons commençaient en avril-mai; les dernières se terminaient fin octobre.
Les briques étaient disposées de chant dans le four et superposées en quinconce pour permettre la circulation de l’air et de la fumée lors de la combustion.

© J. Lambert  Alimentation des distributeurs de charbon

L’alimentation du feu au niveau de la cellule de cuissons se faisait au moyen de charbon en fines particules introduit par quelques- unes des 90 ouvertures dites « puits de chauffe » aménagées dans la voûte des galeries. Cet approvisionnement était effectué de façon quasi-automatique par des distributeurs à vis sans fin qui équivalaient à une nuit de cuisson.
Les fumées étaient évacuées par des galeries souterraines vers la cheminée du côté est du four . Le défournement s’effectuait par l’une des dix-huit portes du four à l’opposé de la zone de cuisson. L’air frais introduit dans les galeries se réchauffait au contact des briques et les refroidissait progressivement. Deux semaines étaient nécessaires pour que le feu fasse le tour de la galerie.

                            Après la cuisson, les briques sont sorties manuellement © J. Lambert

Les expéditions

En 1962, la briqueterie Lambert en produisait 35 tonnes par jour. Elles étaient expédiées par camions dans les environs, mais aussi par train notamment vers Paris chez le marchand de matériaux Rabonni. Des briques produites à Saint-Piat ont servi à la construction de l’hôpital Bichat à Paris.
                         Exemple de maison, rue de la République, en briques de Saint-Piat © Ph. G.

Quel avenir pour le site industriel de la briqueterie Lambert?

Après la fermeture de la briqueterie, la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) du  département  était intéressée par son inscription à l’Inventaire des Monuments Historique. Parallèlement l’association « Le Patrimoine des Vallées » a déposé à la DRAC un dossier établi par Jean-Luc Renaud.Un arrêté du préfet de région classa la briqueterie le 4 mars 1999.
Puis une association fut spécifiquement créée en 2004 « Art du Feu – Richesse Régionale » dont le but était de « sauvegarder ce site industriel et d’envisager son développement culturel, éducatif et touristique ».
Au fil des ans, faute d’entretien, les constructions se dégradèrent au point de devenir dangereuses et de conduire à une déclaration d’état de péril.
En 2019, la municipalité a acquis la briqueterie en vue de sa sauvegarde. Grâce notamment à la Mission Stéphane Bern, une première phase de mise en protection des bâtiments a été engagée. Mais les coûts prohibitifs de protection et de réfection selon  le schéma initial et le manque de visibilité sur les futures utilisations ont conduit à suspendre l’opération en cours.

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Plus d’informations dans la brochure n°10, disponible à la boulangerie ou à commander sur le site de l’association.